Cet hiver s’annonce particulièrement tendu sur le plan de l’approvisionnement énergétique en France. L’État s’organise donc pour mettre en place des actions permettant de soulager le réseau en cas de pic de consommation. Mais cela n’est pas nouveau notamment sur le réseau de gaz. Déjà en 2013, un arrêté avait été pris pour élaborer un « plan d’urgence gaz ». Le but était de garantir la continuité de la fourniture tout en préservant la solidarité européenne en cas de défaillance d’un fournisseur ou d’un épisode climatique exceptionnel. Ensuite, l’ordonnance du 19 décembre 2018 prévoit de donner un cadre législatif à la procédure de délestage. Cette année, un décret du 7 avril 2022 a été publié à ce sujet. L’objectif est de rendre obligatoire la participation de tous les gros consommateurs à la procédure de délestage. Ce texte semble tomber à pic vu la conjoncture actuelle. Pourtant, il était en cours d’élaboration depuis 2020 et il n’a donc pas été pris spécialement au vu des circonstances.

OMNEGY fait le point pour vous sur la procédure de délestage qui sera applicable dès cet hiver.

Le délestage, outil de dernier recours pour soutenir le réseau de gaz

Il convient d’envisager le fonctionnement du délestage puis les nouveautés apportées par le décret du 7 avril 2022.

Le principe de fonctionnement du délestage

Le délestage est une mesure administrative d’exception qui vise à préserver l’approvisionnement des sites exerçant des missions d’intérêt général (hôpitaux, prison, etc.) en interrompant momentanément la fourniture de certains clients, gros consommateurs de gaz naturel.

Il s’agit d’une voie de dernier recours, utilisée pour préserver l’alimentation des sites sensibles.

Concrètement, les plus gros clients de gaz naturel reçoivent une enquête. Cela concerne les sites transport et les sites distribution qui consomment plus de 5 GWh/an. Dans cette enquête, les clients précisent s’il leur est possible d’être soumis à un délestage ou pas.

Mais jusqu’ici, comme GRTGaz l’a précisé, cela n’engageait pas vraiment le client.

C’est la raison pour laquelle un décret a été pris en avril 2022 permettant d’encadrer plus strictement le processus.

Les précisions apportées par le décret du 7 avril 2022.

Les précisions apportées par le décret du 7 avril 2022

Avec le décret du 7 avril 2022, les consommateurs visés par le délestage sont tenus de répondre à l’enquête annuelle qui leur est adressée par les gestionnaires des réseaux de transport et de distribution. Il s’agit toujours des consommateurs ayant consommé plus de 5 GWh au cours de l’année N-1. Cela concerne 5 000 sites industriels.

En principe, l’enquête est à retourner en mai. Cette année, le délai a été prolongé jusqu’au 8 juillet 2022 en raison de la date de parution du décret.

Le texte précise les renseignements qui sont demandés aux clients tels que :

  • les coordonnées permettant de contacter le consommateur afin de réclamer le délestage ;
  • le type d’activité exercée ;
  • les conséquences d’un délestage sur l’activité.

Les réponses à l’enquête sont ensuite transmises aux préfets qui établissent ensuite deux listes :

  • Celle des sites qui consomment plus de 5 GWh/an et assurent des missions d’intérêt général liées à la satisfaction des besoins essentiels de la nation (domaines de la santé, de la sécurité et de la défense).
  • Celle des sites qui consomment plus de 5 GWh/an et qui sont susceptibles de subir des conséquences économiques majeures en cas de réduction ou d’arrêt de leur consommation de gaz naturel. La liste précise le niveau de réduction de consommation en-dessous duquel ces conséquences économiques majeures vont apparaître.

En cas de délestage, seront visés en priorité les clients qui ne sont pas sur les deux listes précitées ainsi que ceux de la seconde liste, jusqu’au niveau de réduction en-dessous duquel aucune conséquence n’aura lieu sur l’activité. Le texte parle de prendre en compte la « vulnérabilité » des consommateurs dans la mise en œuvre du délestage.

Le délestage peut mener à un arrêt total de la consommation ou d’une simple réduction. Il va concerner aussi bien le réseau de distribution que celui du transport.

Ceux qui n’ont pas répondu à l’enquête sont présumés pouvoir subir un délestage sans conséquence pour leur activité, quel que soit le niveau de réduction de consommation. Ils seront donc délestés en priorité. L’absence de réponse à l’enquête expose également les clients à une amende de cinquième classe.

En pratique, en cas de difficulté sur le réseau de gaz naturel, les consommateurs vont recevoir une notification les invitant à réduire ou arrêter leur production dans un délai de 2 heures.

Si un client ne respectait pas cette demande, l’article L434-4 du Code de l’énergie prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement et une amende de 75 000 euros en cas « d’atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens ».

L’autre mesure principale permettant de préserver le réseau : l’interruptibilité

Aux côtés du délestage, une autre mesure existe pour faire face à une difficulté sur le réseau. Elle sera d’ailleurs utilisée avant le délestage, plus contraignant. Il s’agit du mécanisme de l’interruptibilité qui est une mesure de marché contrairement au délestage qui relève d’une décision administrative.

L’interruptibilité est prévue contractuellement selon deux formes définies.

L’interruptibilité « garantie »

Elle est réservée aux clients qui sont directement raccordés au réseau de transport. C’est une forme d’interruptibilité contraignante, mais choisie et rémunérée. C’est une interruptibilité dite « garantie ».

Toutefois, les sites qui assument des missions d’intérêt général ou qui fournissent du chauffage à des consommateurs résidentiels, à des TPE/PME ou à des consommateurs qui assument des missions d’intérêt général (sauf si le mécanisme est sans effet sur la fourniture de chauffage de ces consommateurs) ne pourront pas souscrire de contrat d’interruptibilité (même les contrats d’interruptibilité secondaire).

Un arrêté du 3 octobre 2022 vient de modifier certaines dispositions initialement prévues par l’arrêté du 17 décembre 2019 s’agissant de l’interruptibilité garantie.

Pour souscrire un tel contrat, le texte pose des conditions :

  • Le point de livraison dont dépend le site concerné doit livrer du gaz exclusivement à ce lieu de consommation.
  • La consommation annuelle de gaz naturel doit être supérieure à 5 000 MWh au cours de l’année N-1. Le seuil était placé à 1 000 MWh avant l’arrêté du 3 octobre 2022.
  • Le lieu de consommation concerné ne doit pas produire de l’électricité à partir du gaz naturel.

On le voit, ce sont les plus gros consommateurs qui sont susceptibles de conclure ce type de contrat et ils ne doivent pas produire de l’électricité à partir du gaz. En effet, il ne faut pas que l’interruptibilité conduise à déséquilibrer la production d’électricité.

Une fois le contrat conclu, le consommateur s’engage à :

  • Avoir une capacité interruptible au moins égale à 20 MWh par jour sur son site de consommation.
  • Transmettre le programme de consommations journalières minimales qu’il prévoit pour les deux semaines à venir.

Selon l’arrêté du 3 octobre 2022, l’ordre d’activation doit être envoyé au client au plus tard à 16 h pour une activation des capacités interruptibles le jour suivant à 6 h. Avant ce texte, le délai était de 24 h entre la réception du signal et l’exécution de ses obligations pour le client. Le gouvernement souhaite donc donner la plus grande souplesse possible au réseau pour s’adapter en cas de difficulté.

Cette interruptibilité fait l’objet d’une compensation financière. En vertu de l’article L431-6-2 du Code de l’énergie, le montant est plafonné à 30 euros/kW.

Toutefois, si le consommateur ne respectait pas ses engagements, il s’expose à une pénalité de 200 euros par MWh de dépassement.

L’interruptibilité secondaire

L’arrêté du 17 décembre 2019 prévoit l’interruptibilité secondaire qu’un client peut choisir de souscrire par contrat. Elle se décline à la fois sur le réseau de transport et de distribution.

Pour pouvoir y prétendre, le site doit réunir plusieurs conditions cumulatives :

  • être raccordé au réseau de GRDF;
  • disposer d’un compteur télérelevé tous les jours ;
  • avoir CAR (consommation annuelle de référence) supérieure ou égale à 5 000 MWh ;
  • avoir une capacité journalière d’acheminement (CJA) ou une capacité journalière normalisée (CJN) supérieure à 40 MWh/jour.

En revanche, l’activité exercée sur le site concerné n’a pas d’importance. Mais le contrat doit être souscrit entre février et mars de chaque année.

Lors de la souscription, le client choisit la consommation plafond qu’il s’engage à ne pas dépasser en cas d’envoi du signal d’interruptibilité. S’il ne respecte pas ce plafond, il s’expose à des pénalités.

Le contrat est souscrit pour 4 ans, mais il doit être reconduit chaque année. La durée d’interruptibilité s’étend sur 240 h maximum sur l’année.

En cas de pic de consommation, il reçoit un signal qui le conduit à réagir dans un délai de 12 h. Il dispose de 24 h pour réduire sa consommation selon les termes contractuels prévus.

L’intérêt pour le client est financier. Même si l’interruptibilité secondaire n’est pas rémunérée, le client bénéficie d’une réduction de son assiette de modulation soumise à la compensation stockage.

Selon GRTgaz, 29 contrats d’interruptibilité secondaire ont été signés avec une date d’effet au 1er avril 2022. Cela représentait une capacité de modulation de la consommation de l’ordre de 15,8 GWh/j, ce qui n’est pas négligeable et pourra permettre de préserver le défaut pendant les pics de demande cet hiver.

En résumé…

Cette année, pour la première fois, le mécanisme du délestage est doté d’un cadre strict qui prend tout son sens dans le contexte de la crise énergétique qui touche le pays depuis plusieurs mois. Toutefois, le délestage reste une voie de dernier recours qui ne sera empruntée qu’après avoir épuisé les autres moyens à disposition du gestionnaire de réseaux, comme les mécanismes d’interruptibilité. La France pourra également compter cet hiver sur ses capacités de stockage ainsi que sur la sensibilisation réalisée depuis plusieurs mois à l’égard des consommateurs visant à faire baisser la demande en gaz.

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