L’électricité étant difficile à stocker, il faut à tout moment que l’offre du marché puisse correspondre à la demande. Pour répondre à la demande globale du pays, les unités de production sont sollicitées dans un ordre spécifique, dit de préséance économique ou « merit order ». Gros plan sur ce mécanisme et son impact sur le marché de l’électricité.

Les enjeux de stockage de l’électricité

Un courant électrique étant constitué d’électricité dynamique et non statique, il est difficile de stocker l’électricité en quantité suffisante pour répondre aux besoins des consommateurs et industriels. Il existe néanmoins plusieurs manières de stocker l’électricité :

  • de manière directe, en utilisant des supraconducteurs ou des grands condensateurs. Cependant, ces méthodes requièrent des conditions d’utilisation contraignantes, et ont des capacités de stockage limitées ;
  • de manière indirecte, par différents processus chimiques, mécaniques (cinétique ou mécanique de compression), etc. Certaines de ces méthodes font encore l’objet de recherches. D’autres s’avèrent efficaces, mais difficiles à mettre en œuvre pour de larges quantités d’électricité, ou trop couteuses pour être économiquement intéressantes.

La méthode de stockage (indirecte) la plus connue est sans doute celle des barrages. Les Stations de Transfert d’Energie par Pompage (STEP), sont des installations qui permettent de stocker de larges volumes d’électricité. Pour ce faire, ces installations créent un potentiel gravitationnel, en remontant l’eau dans le barrage, grâce à des pompes actionnées électriquement. L’eau est ensuite relâchée à travers ces mêmes pompes qui agissent alors que comme des turbines génératrices afin de retransformer ce potentiel en électricité.

Cette difficulté de stockage complexifie la gestion de l’équilibre entre l’offre et la demande du marché de l’électricité. Les réseaux de production doivent être assez larges pour subvenir à la demande en période de pointe, et, par conséquent, sous-emploient leurs capacités de production à d’autres moments où la demande est faible. Pour des unités de production aux coûts fixes élevés, il peut être plus difficile de rentabiliser les investissements dans ces installations.

Coûts de production de l’électricité

La deuxième particularité de l’électricité est qu’elle peut être produite par de multiples sources. En France, la répartition de la production par filière est la suivante[1] :

  • 67,1% de nucléaire ;
  • 13% d’hydraulique ;
  • 7,9% d’éolien ;
  • 7,5% de thermique fossile ;
  • 2,5% de solaire ;
  • et 1,9% de bioénergie.

Les coûts de production sont spécifiques à chaque filière et varient en fonction des facteurs suivants :

  • les coûts initiaux d’investissement : matériel, génie civil, etc. ;
  • les coûts d’exploitation et de maintenance, qui incluent le coût des combustibles, lorsqu’il y a un coût, ce qui n’est pas le cas pour de nombreuses énergies renouvelables (basées sur le vent ou le soleil par exemple) ;
  • le taux d’actualisation : le rendement qu’il serait possible d’obtenir en investissant ailleurs le même capital ;
  • le niveau de production ;
  • la durée de vie économique de l’exploitation.

Le prix de l’électricité, tel qu’il est défini sur le marché de l’électricité à l’instant t, dépend des coûts marginaux des différentes unités de production disponibles à ce même instant. Le coût marginal étant le coût de production nu d’un MWh supplémentaire. Ce coût inclut donc le combustible (s’il y en a), les frais opérationnels et les frais d’entretien mais n’inclut pas les frais fixes (investissements de base, amortissements, coûts fixes d’entretien et d’exploitation…).

Voici les coûts moyens et marginaux de production de l’électricité par filière[2], en €/MWh :

Filière Coûts complets Coûts marginaux*
Géothermie 51 0
Eolien terrestre 50 0
Eolien en mer posé 130 0
Eolien en mer flottant 195 0
Solaire au sol 45 0
Hydrolien 250 0
Petite hydroélectricité 32 0
Gaz naturel 90 70
Charbon 100 86
Fioul 200 162
Nucléaire 50 30
Nucléaire EPR 109 27,7

*Les coûts marginaux des ENR (dont l’hydraulique) sont théoriquement égal à 0 car ils ne nécessitent pas de combustibles et n’émettent pas de CO2. Toutefois, il est possible d’y inclure certains frais opérationnels, devant alors être appliqués à toutes les filières dans le calcul des coûts marginaux. Les coûts marginaux des filières à base de combustibles fossiles sont calculés avec un prix de 50 €/tonne de CO2 au titre du mécanisme EU-ETS.

Bien que le nucléaire soit la première source de production d’électricité en France (67,1%), ce n’est pas forcément l’énergie la moins chère. Elle est plus coûteuse que certaines énergies renouvelables, surtout lorsqu’il s’agit de nucléaire EPR.

La majorité des énergies renouvelables n’utilisent pas de combustibles (à l’exception de la biomasse) mais ont recours à des éléments naturels, comme le vent ou le soleil, pour produire de l’électricité. Cela explique que leurs coûts marginaux soient beaucoup plus faibles, puisqu’ils se basent uniquement sur les frais opérationnels et d’entretien.

Le coût du CO2 (qui est inclus dans ces coûts marginaux de production) va également être important pour des sources d’énergie plus polluantes telles que le charbon, le gaz ou le pétrole. Cette prise en compte va alourdir les coûts marginaux de production de ces filières, alors que le coût du CO2 sera nul pour les énergies renouvelables. Tous ces facteurs rendent les énergies renouvelables particulièrement compétitives en termes de coûts marginaux de production d’électricité, ce qui se répercute sur le prix des unités de production.

Le mécanisme du « merit order »

Sur les marchés de gros de l’électricité, le prix du MWh varie en fonction des coûts marginaux de production. Les unités de production sont sollicitées par ordre de coûts marginaux croissants : c’est la logique du « merit order » (ou préséance économique en français). Ce nom a été donné à la théorisation du mécanisme naturel de fixation des prix sur le marché de l’électricité.

Les premières unités de production à être appelées sont les énergies renouvelables, qui bénéficient de coûts marginaux beaucoup plus faibles voir nuls et ont des unités de production peu coûteuses. Viennent ensuite le nucléaire, les centrales thermiques à gaz, puis à charbon et au fioul (classées selon le coût du combustible, les autres coûts marginaux étant proches).

Il est également possible d’acheter de l’électricité sur les marchés voisins (essentiellement les pays frontaliers), si cela revient moins cher. Ces achats viennent s’intercaler dans le système de « merit order », en fonction du coût du marché dans un pays voisin.

L’ordre d’appel des unités de production varie également en grande partie selon le coût du CO2 (et donc les émissions de CO2 de chaque unité de production). S’ajoutant aux coûts marginaux de production, le coût du CO2 augmente le prix d’une unité de production de charbon ou de fioul par exemple, alors qu’il n’affecte pas les énergies renouvelables. Avec le mécanisme du « merit order », les sources d’énergie moins polluantes ont par conséquent un avantage indéniable sur le marché de l’électricité. Ce système implique donc que le prix de l’électricité soit formé, en grande partie, par l’influence du prix du CO2.

Le mécanisme de « merit order » permet d’estimer le prix en fonction de la demande en électricité. Lors de périodes où la demande est plus faible, le système n’a besoin que des unités de production à coûts marginaux faibles, comme les énergies renouvelables, le prix est donc faible. Alors que durant les périodes de forte demande, le système doit faire appel à des unités dont les coûts marginaux sont plus élevés, ce qui renchérit alors le prix sur le marché.

Effet du merit order sur la fixation des prix SPOT de l’électricité

De manière générale, le mécanisme de « merit order » a pour effet de pousser les prix de l’électricité vers le bas, puisque ce sont d’abord des unités de production aux coûts marginaux faibles qui sont appelées. Mais surtout le prix juste, afin de rémunérer correctement les centrales qui permettent de maintenir l’équilibre.

L’introduction des énergies renouvelables (solaire, éolien, etc.) sur le marché de l’électricité a donc pour effet de faire baisser les prix spot (le prix fixé pour une livraison immédiate) de l’électricité. Toutes ces transactions sont structurées par la bourse de l’électricité, EPEX SPOT, qui a été créée en 2008 pour réguler le marché de l’électricité. L’EPEX (European Power Exchange) publie sur son site internet les cours de l’électricité du jour et du lendemain (le marché spot). Au 14 juillet 2021, le prix du MWh pour la France se négociait en moyenne entre 74,09 € et 76,21 €.

Les avantages d’une formation des prix par le « merit order »

Le « merit order » tel qu’il régit le marché de l’électricité aujourd’hui présente de nombreux avantages :

  • Flexibilité : il intègre en permanence les changements de demande (pics de consommation, effets saisonniers) et les retraits de capacité (arrêt d’une centrale pour maintenance par exemple). Cela permet d’assurer un équilibre économique à chaque instant, afin que l’offre de production rencontre la demande quasiment en temps réel. Cette variété des sources de production permet de produire en fonction de la demande, ce qui assure la sécurité d’approvisionnement du pays ;
  • Environnement : il contribue à augmenter la part des énergies renouvelables dans la consommation globale d’électricité du pays, diminuant ainsi les émissions de CO2. Il prend également en compte le prix du CO2 (qui fait partie des coûts marginaux), ce qui sensibilise tout le marché à l’impact de la production d’électricité sur l’environnement et ainsi incite à l’investissement dans des moyens décarbonés ;
  • Compétitivité : cette logique de marché privilégie les énergies aux coûts marginaux faibles. Leurs unités de production sont moins chères, ce qui pousse les prix de l’électricité vers le bas : un avantage important pour les consommateurs et les industriels ;
  • Efficience : car sont sollicités en premier les unités de production qui seraient ‘perdues’ si elles n’étaient pas utilisées, minimisant ainsi le gaspillage.

Les limites de ce système

Bien que le système présente de nombreux avantages, aussi bien pour les consommateurs que pour l’environnement, il est cependant critiqué sur certains points.

  • Volatilité des prix : Ce système, de manière générale, augmente les fluctuations des prix de l’électricité de manière significative. Cela crée une absence de visibilité totale sur les prix de l’électricité, et une grande incertitude. De plus, le marché européen étant interconnecté, la volatilité des prix d’un marché peut facilement influencer les marchés voisins. Si un marché voisin pratique des prix beaucoup plus bas cela peut désavantager les unités de production françaises.
  • Sécurité d’approvisionnement : Ces fluctuations pénalisent par exemple la sécurité d’approvisionnement sur le moyen et long-terme, car les investissements dans les moyens de production sont généralement coûteux, et se rentabilisent sur plusieurs décennies. Dans un contexte où seuls les coûts marginaux de production sont pris en compte, un opérateur qui souhaiterait investir dans une centrale de gaz ou charbon par exemple aura du mal à boucler son business-plan face à tant d’incertitude ce qui retarde d’autant les investissements qui seraient nécessaires pour assurer la sécurité d’approvisionnement. La France ne pouvant pas assurer toute sa consommation via les énergies renouvelables, il faut donc assurer un minimum de capacité au niveau des autres sources de production d’électricité. Le mécanisme de capacité a été mis en place dans ce contexte, afin d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité du pays, en périodes de pointe.
  • Faible visibilité à long-terme : Enfin, le marché de l’électricité tel qu’il est structuré actuellement, n’est pas fait pour répondre à des visions long terme. La bourse est structurée de manière à définir un prix spot, c’est-à-dire un prix optimal ‘instantané’, pour une livraison immédiate. Au mieux un prix sur les 3-4 prochaines années peut émerger du fait de l’échange de produits « futures » entres les traders. Cela est néanmoins insuffisant pour encourager le développement de moyens de pointe ou de solutions de stockage par exemple, ou des investissements dans des infrastructures et installations longues à rentabiliser, mais nécessaire au parc de production d’électricité en France.

[1] Selon le bilan électrique du RTE (Réseau de Transport de l’Electricité), publié en 2020.

[2] Fourchettes basses selon la plage de variation théorique des coûts, Rapport sur “Les coûts des énergies renouvelables et de récupération en France, ADEME, 2019”.

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