RTE est le gestionnaire du réseau de transport d’électricité en France. Son expertise lui permet d’éclairer les pouvoirs publics dans leurs choix au niveau de la politique énergétique du pays. Dans son étude « Futurs Energétiques 2050 » commandée par le gouvernement en 2019 et publiée le 25 octobre 2021, RTE envisage différents scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050, prévue par l’Accord de Paris, ce qui permettra de sortir des énergies fossiles. Chaque scénario prend en compte son impact technique et économique mais également environnemental et sociétal. Ce travail est issu de plusieurs groupes de travail et d’une consultation publique menée début 2021. Xavier Pierchaczyk, Président du Directoire de RTE donne le contexte dans lequel ce travail inédit a été mené. Il précise que la France doit « d’une part produire davantage d’électricité en remplacement du pétrole et du gaz fossile et, d’autre part renouveler les moyens de production nucléaire qui vont progressivement atteindre leur limite d’exploitation d’ici 2060 ».

La question qui se pose est donc de savoir quelle stratégie la France veut-elle adopter pour son futur énergétique, afin de bénéficier d’une électricité décarbonée : développer fortement les énergies renouvelables ou remettre à neuf son parc nucléaire ?

Décryptage des pistes proposées par ce rapport et des enseignements principaux qui en sont tirés.

Un travail d’une ampleur inédite

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Les scénarios “M” : les énergies renouvelables privilégiées

L’étude propose trois scénarios dans lesquels les énergies renouvelables seront au cœur du système électrique français.

  • Le premier appelé « M0 » envisage une sortie du nucléaire en 2050 avec une production électrique centrée à 100% sur le solaire, l’éolien sur terre et en mer, en tablant sur la capacité maximale d’utilisation de ces trois énergies.
  • La seconde possibilité (M1) consisterait à déployer de manière diffuse les énergies renouvelables, sur l’ensemble du territoire. Le photovoltaïque serait au centre du système. Les installations nucléaires déjà existantes seraient utilisées, dans une faible proportion (16 GW contre 61,4 GW).
  • Enfin, la troisième voie (M23) prévoit la création de grands parcs éoliens sur terre et en mer avec la même part d’utilisation du nucléaire existant que précédemment (16 GW).

L’étude menée par RTE conclut qu’un scénario « 100% renouvelable » est difficilement atteignable d’ici 2050 car il nécessiterait un développement des énergies renouvelables plus rapide que celui des pays les plus dynamiques dans ce domaine. RTE rappelle également que le développement des énergies renouvelables (solaire, éolien sur terre et en mer), lesquelles sont beaucoup plus compétitives désormais, ne va pas sans rencontrer des contestations de la population du fait des nuisances sonores et visuelles. Il semble donc difficile à RTE de se passer totalement de la création de nouveaux réacteurs nucléaires, en parallèle du développement des énergies renouvelables.

Les scénarios “N” : mix entre énergies renouvelables et nouveaux réacteurs nucléaires

RTE envisage un scénario « N1 » qui prévoit l’utilisation des énergies renouvelables à un rythme soutenu ainsi que le développement de nouveaux réacteurs, déployés deux par deux sur des sites existants tous les 5 ans, à partir de 2035.

  • La cinquième possibilité (N2) consiste à installer plus rapidement les nouveaux réacteurs (toujours par paire mais tous les 3 ans), à partir de 2035. Le développement des énergies renouvelables se ferait ici de façon plus lente que dans l’hypothèse précédente.
  • Enfin, le dernier scénario appelé « N03 » suppose une production équitable entre énergies renouvelables et énergie nucléaire d’ici 2050. Cela nécessiterait notamment d’utiliser le plus longtemps possible le parc nucléaire existant et de développer de nouveaux réacteurs (de type SMR notamment).

Des mix énergétiques différents

Les principaux enseignements issus de l’étude menée par RTE

RTE rappelle tout d’abord qu’au-delà des enjeux environnementaux, la sortie des énergies fossiles permettrait à la France de mettre un terme à sa dépendance vis-à-vis des pays producteurs d’hydrocarbures (Arabie Saoudite, Russie, Nigéria, etc.) et donc de gagner en indépendance dans ce secteur.

Dans la seconde partie de son rapport, RTE énonce 18 enseignements tirés des scénarios envisagés pour l’avenir électrique français. Parmi les plus significatifs, on peut noter que l’efficacité voire la sobriété énergétique est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques.

Consommation

1.Agir sur la consommation grâce à l’efficacité énergétique, voire la sobriété est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques 2.La consommation d’énergie va baisser mais celle d’électricité va augmenter pour se substituer aux énergies fossiles 3.Accélérer la réindustrialisation du pays, en électrifiant les procédés, augmente la consommation d’électricité mais réduit l’empreinte carbone de la France

Transformation du mix

4.Atteindre la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des énergies renouvelables 5.Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques

Economie

6.Construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver un parc d’une quarantaine de GW en 2050 (nucléaire existant et nouveau nucléaire) 7.Les énergies renouvelables électriques sont devenues des solutions compétitives. Cela est d’autant plus marqué dans le cas de grands parcs solaires et éoliens à terre et en mer 8.Les moyens de pilotage dont le système a besoin pour garantir la sécurité d’approvisionnement sont très différents selon les scénarios. Il existe un intérêt économique à accroître le pilotage de la consommation, à développer des interconnexions et le stockage hydraulique, ainsi qu’à installer des batteries pour accompagner le solaire. Au-delà, le besoin de construire de nouvelles centrales thermiques assises sur des stocks de gaz décarbonés (dont l’hydrogène) est important si la relance du nucléaire est minimale et il devient massif – donc coûteux – si l’on tend vers 100% renouvelable 9.Dans tous les scénarios, les réseaux électriques doivent être rapidement redimensionnés pour rendre possible la transition énergétique

Système et technologie

10.Créer un «système hydrogène bas-carbone» performant est un atout pour décarboner certains secteurs difficiles à électrifier, et une nécessité dans les scénarios à très fort développement en renouvelables pour stocker l’énergie 11.Les scénarios à très hautes parts d’énergies renouvelables, ou celui nécessitant la prolongation des réacteurs nucléaires existants au-delà de 60 ans, impliquent des paris technologiques lourds pour être au rendez-vous de la neutralité carbone en 2050 12. La transformation du système électrique doit intégrer dès à présent les conséquences probables du changement climatique, notamment sur les ressources en eau, les vagues de chaleur ou les régimes de vent

Espace et environnement

13. Le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d’occupation de l’espace et de limitation des usages. Il peut s’intensifier sans exercer de pression excessive sur l’artificialisation des sols, mais doit se poursuivre dans chaque territoire en s’attachant à la préservation du cadre de vie 14. Même en intégrant le bilan carbone complet des infrastructures sur l’ensemble de leur cycle de vie, l’électricité en France restera très largement décarbonée et contribuera fortement à l’atteinte de la neutralité carbone en se substituant aux énergies fossiles 15. L’économie de la transition énergétique peut générer des tensions sur l’approvisionnement en ressources minérales, particulièrement pour certains métaux, qu’il sera nécessaire d’anticiper

Général

16. Pour 2050 : le système électrique de la neutralité carbone peut être atteint à un coût maîtrisable pour la France 17. Pour 2030 : développer les énergies renouvelables le plus rapidement possible et prolonger les réacteurs nucléaires existants dans une logique de maximisation de la production bas-carbone augmente les chances d’atteindre la cible du nouveau paquet européen «-55% net» 18. Quel que soit le scénario choisi, il y a urgence à se mobiliser

RTE souligne également que l’objectif de neutralité carbone en 2050 est possible à un coût maîtrisable. Certains scénarios impliquent néanmoins des avancées technologiques lourdes qui paraissent ambitieuses à l’horizon 2050, selon le gestionnaire de réseau.

L’étude rappelle que la transition énergétique pourrait s’accompagner de tensions en matière d’approvisionnement pour certaines ressources, ce qui pourrait être aggravé par les conséquences que le changement climatique pourrait avoir sur le futur système électrique français (vagues de chaleur par exemple).

Le rapport indique également que si la consommation d’énergie va baisser, celle d’électricité va augmenter, afin de remplacer les énergies fossiles. Il préconise aussi de réindustrialiser le territoire, en misant sur l’électrification, afin de diminuer l’empreinte carbone de la France. En effet, il est néfaste pour l’environnement d’importer des produits fabriqués au bout du monde et transportés jusqu’à notre pays.

Par ailleurs, pour tous les scénarios, le réseau électrique de transport et de distribution devrait être redimensionné pour accompagner la transition énergétique.

Enfin, l’étude conclut que peu importe le scénario choisi, « il y a urgence à se mobiliser », notamment pour répondre à la crise climatique. Le rapport est désormais entre les mains du gouvernement à qui il appartiendra de décider la voie à emprunter pour atteindre les objectifs fixés.

Le mot d’OMNEGY

RTE a mené un travail jamais vu de concertation des parties prenantes de modélisations des scénarios avec de très nombreuses hypothèses, variantes et analyses statistiques. Il en ressort un outil puissant d’orientation de notre politique énergétique et donc de nos choix de société.

Bien des aspects restent à approfondir, notamment le développement de capacités d’absorption des GES : l’autre versant de la neutralité carbone. C’est en effet le seul moyen par lequel la France atteindra l’objectif de Zero Emissions Nettes d’ici 2050, et les efforts sont ici aussi considérables : ils nécessitent a minima un doublement des puits de carbone d’ici 2050 comparé aux niveaux de 1990.

OMNEGY en retient principalement les conclusions suivantes :

  1. La décarbonation est faisable !
  2. … À un coût maîtrisé pour ce qui est du système électrique : entre 60 et 80 milliards par an. Alors que le coût actuel du système électrique est de l’ordre de 40 Md€/an pour un coût total (hors toutes taxes) de l’énergie en France de l’ordre de 115 Md€/an. Cela laisserait entre 35 et 55 Md€/an pour effectuer les efforts de transformation, d’efficacité et de sobriété énergétique.
  3. Les efforts de sobriété et de transformation sont néanmoins colossaux (de 1600 TWh en 2019 à 1100 en 2050 soit -30%) et touchent à tous les secteurs : les politiques publiques devraient orienter l’intégralité des secteurs de manière rapide et vigoureuse dans la direction qui serait choisie.

Enfin, le scénario maximisant les renouvelables intermittents (M0) et celui maximisant le nucléaire (N03) nécessitent de lever le plus de freins, que ce soit technologiques ou d’organisation de filière. Les suivre sans plan B rendrait risquée l’atteinte de la neutralité. Afin de mitiger ce risque, il nous semble préférable de chercher à maximiser l’un comme l’autre, au moins dans les premières années afin de rattraper le retard déjà pris (RTE indique entre 15 et 20 ans de retard dans la décision publique).

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