Le gaz naturel est au coeur des débats européens depuis la fin des confinements liés au Covid-19. Les prix qui s’étalaient traditionnellement de 10 à 20 €/MWh ont flambé depuis la réouverture des pays et une forte reprise de l’économie. La demande ayant augmenté subitement, la production a eu du mal à suivre, ce qui a fait monter les prix. Le début de la guerre en Ukraine en février 2022 est venu exacerber cette hausse, puisque la Russie, par représailles envers les États européens, a réduit ses flux à destination du continent. Les décideurs européens ont donc dû réagir et préparer de nouvelles stratégies d’approvisionnement en gaz, en passant notamment par du Gaz Naturel Liquéfié (GNL). L’enjeu en 2022 était de pouvoir disposer de suffisamment de gaz pour couvrir la demande et également remplir les stockages, qui n’étaient remplis qu’à 25% au 1er avril 2022. Les maintenances prévues et surprises sur le gazoduc Nord Stream 1 suivi par des sabotages sur ce pipeline et son homologue Nord Stream 2 ont provoqué une spirale inflationniste sur les prix, avec la crainte qu’à l’approche de l’hiver l’Europe ne puisse pas disposer d’assez de gaz. Toutefois, les livraisons de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) d’un côté et la réduction de la consommation de l’autre grâce à des températures clémentes depuis la rentrée ont permis aux prix de diminuer de moitié. Cependant, cette accalmie apparente pourrait être de courte durée à mesure que l’Europe entre dans l’hiver. Le véritable enjeu sera en 2023, lorsque l’hiver sera passé et que l’Europe devra à nouveau remplir ses stockages, et cette fois, sans gaz russe ou en tout cas à des niveaux négligeables. Les enjeux sont considérables puisqu’il en va de la stabilité de la zone euro et du fonctionnement de son économie. Bien qu’il faille s’éloigner des combustibles fossiles et se passer de gaz russe d’ici 2027, ces transformations se feront sur plusieurs années, un nouveau choc est donc à pressentir l’année prochaine.
L’Europe connait un bouleversement sur ses approvisionnements gaziers
L’Europe s’est traditionnellement approvisionnée en gaz via la Russie. De nombreux pipelines ont été construits pour acheminer de grandes quantités de gaz depuis les champs gaziers russes jusqu’aux zones de consommation, via des contrats de long terme bon marché. L’Allemagne a été l’un des grands architectes de ces projets, puisque cela lui a permis de bénéficier d’énergie bon marché pour son industrie et de devenir une grande exportatrice de biens manufacturés. L’Europe dépendait, pour 35 à 40% de sa consommation, du gaz russe et cela montait à plus de 50% pour l’Allemagne. En raison d’évènements géopolitiques ayant eu lieu entre l’Ukraine et la Russie, en 2009, 2011 et 2014, l’Union Européenne s’est mise doucement à repenser ses modes d’approvisionnement en gaz et à en diversifier la provenance pour garantir la continuité des flux. Au-delà de fournisseurs traditionnels comme la Norvège ou l’Algérie, l’Union européenne (UE) s’est dotée de terminaux de regazéification afin d’importer du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) et de se fournir de manière plus flexible en gaz.
L’effondrement rapide des flux russes, comme illustré sur le graphique ci-dessus, est venu totalement remettre en question les grands acquis des dernières décennies sur la notion d’énergie disponible et bon marché. Le manque de fiabilité de Moscou a obligé à un grand retournement côté européen, avec une décision marquante prise par la Commission Européenne de se passer totalement de gaz russe d’ici 2027. Seulement aujourd’hui, les flux russes ne représentent plus que 7-10% de l’approvisionnement européen et cette réduction est trop drastique pour que le continent ait le temps de s’adapter. Au-delà des approvisionnement par pipeline et de la production domestique de l’Union européenne (UE), le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) a émergé comme le grand remplaçant du gaz russe, puisqu’il est devenu la première source d’approvisionnement en gaz de l’Europe, devant la Norvège. Le niveau des livraisons de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) est 63% plus élevé en 2022 qu’en 2021 et ce sont les USA qui ont fourni le plus gros des quantités livrées.
Même si le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) parvient à panser la plaie pour cette année, il faut garder à l’esprit qu’en 2022, l’Europe a tout de même reçu entre 55 et 60 milliards de m3 de gaz russe et une partie de ce gaz lui a permis de remplir ses stockages. En 2023, l’histoire risque d’être différente étant donné que les livraisons de gaz russe, si elles restaient au niveau d’aujourd’hui, s’élèveraient seulement à 13 milliards de m3 (contre 155 milliards de m3 en 2021, 60 en 2022). Il faudrait donc importer des quantités de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) encore plus importantes en 2023 qu’en 2022, à un prix plus élevé que celui du gaz importé par pipeline.
Le niveau des stockages et de la consommation sera clé pour l’année 2023
Afin d’éviter un cataclysme en 2023, c’est à dire, que les quantités de gaz soient insuffisantes pour remplir les stockages et répondre à la demande, il est absolument nécessaire que l’Europe parvienne à remplir deux conditions pour les 6 prochains mois :
- Il fallait dans un premier temps remplir les stockages le plus possible. C’est désormais chose faite puisqu’ils étaient remplis à 95% au 1er novembre 2022, date du début de la saison de soutirage dans les stocks. Seulement il est également nécessaire que durant cet hiver et jusqu’au 1er avril 2023, les stocks ne descendent pas trop bas, afin que l’Union européenne (UE) dispose d’une meilleure marge de manoeuvre pour les remplir si elle devait être moins approvisionnée. En d’autres termes, il ne faut pas que ces stocks redescendent au même niveau qu’en ce début d’année 2022 (25%), auquel cas il ne sera pas possible de les remplir à des niveaux suffisants pour passer l’hiver prochain, ce qui risquerait de provoquer de nouvelles flambées des prix mais surtout de priver de gaz une partie des entreprises européennes, voire d’autres acteurs. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, il faut qu’à la sortie de l’hiver, les stocks soient remplis entre 33 et 38% pour éviter des ruptures d’approvisionnement au cours de l’année, ce qui passe donc nécessairement par des réductions de la consommation.
- Afin que le scénario catastrophe puisse être évité, il convient également que des efforts soient faits du côté de la consommation, par le biais de plan de sobriété d’un côté, mais également par la force des choses via de la destruction de la demande à cause des prix très élevés du gaz. Au mois d’octobre 2022, la consommation de gaz en Europe était de 24% inférieure à ses niveaux moyens à la même période. Si on regarde dans le secteur de l’industrie, comme le présente le graphique ci-dessous, le niveau de consommation est de plus de 30% inférieur à ses moyennes antérieures. Les industriels, grands consommateurs de gaz, sont bien plus exposés à la volatilité des prix sur le marché, car ils disposent de contrats spécifiques, leur permettant de fixer leur prix en plusieurs fois ou bien d’être indexés sur l’évolution des cours. Certains d’entre eux ont donc dû repenser leur mode de production ou bien mettre à l’arrêt leurs usines afin de ne pas payer des coûts exorbitants pour leur énergie. Ce phénomène est donc venu participer à la réduction de la consommation globale du continent, mais il est subi et non choisi. Il est toutefois nécessaire de poursuivre sur ses efforts de réduction si l’on ne souhaite pas vivre une situation similaire mais encore plus détériorée l’année prochaine, puisqu’il y aura moins de gaz disponible selon les prévisions. L’Agence Internationale de l’Energie préconise une réduction de l’ordre de 13% de la demande sur les 6 prochains mois afin que l’Europe dispose d’une bonne marge de maneuvre pour s’approvisionner. Seulement cela ne sera réalisable que si les températures ne sont pas trop basses au courant de l’hiver, ce qui reste, pour l’heure, une grande inconnue.
Les prix de marché actuels pour 2023 annoncent la tendance
Étant donné qu’il ne faudra pas compter sur une augmentation des flux russes pour l’année prochaine, en raison de l’enlisement du conflit en Ukraine, des sanctions mises en place par l’Union européenne (UE) envers Moscou et du sabotage des deux pipelines Nord Stream, il apparait clairement que les solutions d’approvisionnement pour l’année prochaine seront plus limitées. Les autres gazoducs auxquels est connectée l’UE disposent d’une capacité maximale limitée, d’environ 200 milliards de m3 au total pour la Norvège, l’Afrique du Nord et l’Azerbaïdjan alors même que l’UE (UK inclus) consomme environ 450 milliards de m3 de gaz chaque année. De ce fait, la seule flexibilité existant du côté de l’offre provient du Gaz Naturel Liquéfié (GNL), pour lequel l’Europe peut théoriquement importer près de 190 milliards de m3 de gaz à pleine capacité.
En l’absence de flux russes importants, le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) constituera nécessairement la pierre angulaire de l’équilibre entre l’offre et la demande sur le continent. Cependant, ce mode d’approvisionnement n’est pas exclusif à l’Europe, il lui faut composer avec la demande asiatique pour cette même ressource et donc proposer des prix plus attractifs pour attirer des méthaniers. Comme le présente le graphique ci-dessous, la dynamique de prix entre l’Asie et l’Europe pour acheter du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) suit des trajectoires similaires, ce qui est logique, puisque chaque région tente de surpasser l’autre en prix afin que les exportateurs de gaz dirigent des cargaisons vers eux. Les prix ont eu tendance à converger à la fin du mois d’octobre, puisque l’Europe a acheté suffisamment de gaz pour remplir ses stockages et donc les prix ont baissé. Si l’on se penche sur les prix futurs cette fois, pour l’année prochaine, on constate un large rebond du prix européen, qui surpasse le prix asiatique, puisque, comme expliqué précédemment, le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) sera clé afin que l’Europe puisse garantir sa sécurité d’approvisionnement et ses prix devront donc être supérieurs à ceux de l’Asie.
De manière globale, les prix du gaz européens pour l’année prochaine ont largement augmenté au cours de l’année 2022, preuve que le marché anticipe d’ores et déjà que la ressource sera limitée et donc qu’elle vaudra cher. Entre le 1er mai 2022 et la fin octobre, les prix pour l’année prochaine ont augmenté de plus de 50%, car le risque que le continent manque de gaz pour sa consommation est bien réel. Selon les projections de l’Agence Internationale de l’Energie, si l’Europe ne réduit pas sa consommation au cours de cet hiver et poursuit sur ses trajectoires de consommation hivernale antérieures, près de 25 milliards de m3 viendraient à manquer l’année prochaine pour couvrir la demande et remplir les stockages. Cela correspond à près de 50% de la consommation annuelle de gaz en France. Si ce scénario venait à se matérialiser, les prix atteindraient des niveaux encore jamais atteints précédemment, puisqu’il deviendrait absolument vital de ne pas consommer de gaz afin que les consommateurs les plus précaires disposent du combustible. Les premiers touchés seraient donc les entreprises et les industries, qui pourraient subir tout simplement des coupures de gaz pour des durées indéterminées, afin d’éviter des ruptures d’approvisionnement majeures au sein des pays de la zone euro.
L’Europe devra faire preuve de discipline et mettre en place des mesures de sobriété au sein de son territoire afin d’éviter les pires scénarios. Cela vaut pour l’année prochaine, mais également les suivantes, puisqu’elle dépend à plus de 80% de pays tiers pour ses livraisons de gaz. La situation conflictuelle avec la Russie est venue rappeler, sévèrement, aux décideurs européens qu’il faut repenser de fond en comble les approvisionnements du continent mais aussi le fonctionnement de son marché de l’énergie. Les niveaux de prix connus en 2022 ont coûté des centaines de milliards d’euros au continent pour soutenir les particuliers et les entreprises via différents mécanismes d’aides. Cet état de fait actuel n’est pas tenable dans la durée car il pourrait profondément déstabiliser la zone euro et creuser la dette des Etats à des niveaux particulièrement inquiétants. D’autant plus que l’inflation actuelle, dépassant les 10% en octobre 2022, oblige la Banque Centrale Européenne à relever ses taux directeurs, lesquels impliquent un remboursement de la dette plus important pour des Etats déjà mis à mal par la situation énergétique.